Au musée, toucher [avec les yeux] la croûte d'une comète par la photographie

Le Musée jurassien des Arts vous invite à une vraie expérience visuelle initiée par Bernd Nicolaisen. Porté par une méthodologie scientifique, son travail permet à chacun de capter la beauté de l’infiniment petit et de l’extraordinairement lointain.
Vue générale de l'exposition.
Vue générale de l'exposition.

Vue générale de l'exposition.

© Bernd Nicolaisen

Isabelle Lecomte
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C'est une exposition un peu ardue mais courageuse que propose Valentine Reymond au Musée jurassien des Arts à Moutier. La conservatrice instaure un dialogue entre les peintures hyperréalistes d’Amedeo Baumgartner (né en 1953) et les photographies de Bernd Nicolaisen (né en 1959). 

L’idée générale de la confrontation entre les deux artistes bernois se fonde sur la trahison des images: certaines peintures sont exécutées avec une telle méticulosité qu’on les prend pour des photographies tandis que certaines photographies, par leur cadrage et leur contenu inédit, évoquent le lyrisme de possibles tableaux abstraits.

Et, ajoute la commissaire de l’exposition et autrice du catalogue spécialement conçu pour l’événement: «Loin d’un large point de vue qui tendrait vers le paysage, les deux artistes se concentrent sur le détail. Chacun considère en outre ces fragments comme un microcosme, synthétisant la quintessence du monde naturel, et espère par ce biais éveiller un questionnement du spectateur sur le plan de son rapport à la nature.» 

Un questionnement particulièrement envoûtant irrigue le travail de Nicolaisen.

Des photos incroyables

En 2004, Bernd Nicolaisen a été le premier à prendre des photographies sous les glaciers islandais pendant 10 ans. Dans la série Restlicht, la nature apparemment intacte semble provenir d’une planète lointaine et inhabitée: humains et animaux en sont absents. 

La lumière semble être le véritable sujet de l’œuvre, «la lumière qui pénètre les couches de glace est une lumière résiduelle, qui a été progressivement filtrée, réfractée et reflétée.» 

Renvoi à notre propre finitude

Il en résulte de grandes images où la couleur dominante est le bleu, un bleu intense aux multiples variations et nuances. 

Des images fascinantes mais aussi potentiellement mélancoliques: chacun de nous sait que la masse de ces mastodontes de glace vieux de plusieurs siècles diminuent chaque jour, nous rappelant au passage notre propre finitude.

"Inside out – white mountains, Burgeon", Bernd Nicolaisen, 2006, 2022 (détail).

"Inside out – white mountains, Burgeon", Bernd Nicolaisen, 2006, 2022 (détail).

© LQJ/© Bernd Nicolaisen

Bulles d’air figées dans la glace, lignes ondulées que forment les strates des White Mountains aux USA, méandres dessinés au cœur de certaines des plus anciennes formations rocheuses de notre planète, en Australie: la nature a horreur de la ligne droite et ce, depuis 3,5 milliards d’années. 

La palette chromatique de l’infiniment petit peut quant à elle opposer à la froideur du bleu la chaleur et le rayonnement d’ocres, de jaunes foncés, d’oranges et même de rouge-brun grâce à l’activité de certaines algues qui recouvrent les structures rocheuses en Engadine. 

«Bernd Nicolaisen travaille», explique Valentine Reymond, «ses prises de vues avec de longs temps de pause et porte une attention particulière à la distribution naturelle de la lumière, n’ayant jamais recours à un éclairage artificiel ou à la retouche.»

Des photos en 3D

La série Inside out white mountains propose une impressionnante série de photographies d’écorce de pins de montagne, arbres quatre fois millénaires poussant dans la Sierra Nevada. 

Courbes, plis, rides, impacts de foudre forment un nouveau paysage auquel l’artiste ajoute du volume par un savant travail sur le négatif (transformé en 3D) puis transposé en reliefs d’albâtre sur aluminium. 

Plus magistrale encore, la grande photographie intitulée Comet in deep space, Chury out of Horizon – ESA/ Rosetta Mission, # 202 renvoie une image inédite de la comète Churyumov-Gerasimenko située à plus de 400 millions de km de la terre. 

Si la sonde européenne Rosetta a dévoilé sa forme étrange qui la fait ressembler à un os rongé et livré la composition de ce très sombre objet céleste, à savoir sous-sols poreux, geysers de gaz et de poussière, failles géantes, petites dunes, Nicolaisen l’a, quant à lui, imaginé sous la forme d’une «maquette».

"Restlicht, Stranded, Outlet River Breida, ISL", Bernd Nicolaisen (détail).

"Restlicht, Stranded, Outlet River Breida, ISL", Bernd Nicolaisen (détail).

© Bernd Nicolaisen

Il faut un peu de temps et de patience pour se plonger dans le volume proposé… par une photographie. De la même manière que les astrophysiciens pensent que la surface de la comète est recouverte de sable et de poussière redéposés, retombés, l’artiste a travaillé en 3D, figeant divers pigments et autres poudres minérales afin d’initier un relief. 

Très poreux, ce dernier ressemble à une pierre ponce qui serait recouverte de cils. Rien que pour vos yeux!   

Bernd Nicolaisen / Amedeo Baumgartner, Musée jurassien des Arts, Moutier. Jusqu’au 26 mai.

Le Quotidien Jurassien

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