Les projets de parcs solaires dans les Alpes suisses suscitent des critiques

Contre la pénurie, les installations photovoltaïques en altitude ne convainquent pas tout le monde.
A l'Alpjerung, au-dessus de Gondo, des manifestants avaient contesté en août 2022 la pertinence du projet Gondosolar, une installation photovoltaïque à 42 millions de francs.
A l'Alpjerung, au-dessus de Gondo, des manifestants avaient contesté en août 2022 la pertinence du projet Gondosolar, une installation photovoltaïque à 42 millions de francs.

A l'Alpjerung, au-dessus de Gondo, des manifestants avaient contesté en août 2022 la pertinence du projet Gondosolar, une installation photovoltaïque à 42 millions de francs.

© KEYSTONE/Gabriel Monnet

Sevan Pearson, La Liberté
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"Depuis l’arrêté urgent du Parlement fédéral (en septembre dernier, n.d.l.r.), les projets d’installations photovoltaïques en montagne fleurissent, en raison des subventions s’élevant à hauteur de 60% des coûts." Pour Arnaud Zufferey, ingénieur indépendant spécialiste de la transition énergétique, cette décision politique va "à l’encontre du bon sens".

Dernière annonce en date: une installation photovoltaïque à Ovronnaz en Valais (voir ci-dessous). Toujours dans ce canton, des projets sont envisagés à Gondo, dans la vallée de la Viège ou encore près de Grengiols avec un parc appelé à couvrir une surface de cinq kilomètres carrés. Ailleurs, des installations sont notamment à l’étude à Alp Morgeten (BE), à Scuol et à Nalp (GR). Et la liste n’est pas exhaustive.

Production hivernale

"Le but est de pousser la production hivernale des installations photovoltaïques, en facilitant la construction de grandes centrales dans les milieux alpins où l’ensoleillement et la production par rapport à la plaine sont supérieurs", commente l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Pour bénéficier de procédures d’autorisation simplifiées, il faut une production annuelle minimale de 10 GWh et commencer à injecter du courant dans le réseau avant la fin de l’année 2025.

Cela ne convainc pas Arnaud Zufferey. "Économiquement, il est aberrant de subventionner des installations photovoltaïques éloignées des consommateurs. En outre, ils paieront deux fois pour cette électricité: via les impôts ou les taxes, puis auprès du distributeur", s’agace-t-il. "Et il faudra transporter cette électricité", avec les coûts et les pertes que cela implique. Autre point controversé: la productivité réelle des installations solaires en montagne, largement surévaluée, selon l’ingénieur.

Le conseiller national Christophe Clivaz (verts) a voté contre la loi: "Alors que j’observe une incapacité politique à installer des panneaux photovoltaïques sur les infrastructures existantes, je trouve inopportun de développer des parcs solaires alpins du point de vue du paysage, de l’écologie et de l’économie." Selon l’élu valaisan, "le Parlement a adopté la loi dans la précipitation, face à la peur d’une pénurie d’électricité hivernale. Les grandes entreprises électriques soutiennent ces projets, car ce sont des perspectives de rentrées financières pour elles."

Pas de quoi ébranler l’Association des entreprises électriques suisses: "Chaque kilowattheure compte, surtout en hiver", réagit la porte-parole Valérie Bourdin. "Au regard des défis en matière de sécurité d’approvisionnement, il est primordial de se concentrer sur le développement de toutes les énergies renouvelables, avec priorité mise sur la production hivernale."

"Si notre pays avait été plus rapide, les toitures auraient suffi."

Yannick Sauter, coordinateur pour la Suisse romande de Swissolar

La responsable rejette également les critiques quant au financement. "Ces installations ne sont pas financées par les impôts, mais par un prélèvement sur le kilowattheure consommé. Le soutien financier que ces installations reçoivent leur permettra de réduire leurs coûts d’investissement et donc leurs prix de revient et d’être rentables", avance Valérie Bourdin.

Mais les voix critiques ne se limitent pas aux aspects économiques. Ainsi, Arnaud Zufferey dénonce l’impact de ces installations sur le paysage et sur la biodiversité "en raison du bétonnage nécessaire aux infrastructures". C’est ce qui pousse Christophe Clivaz à suggérer d’accélérer les projets solaires sur les bâtiments et infrastructures existants. "Et si vraiment il faut du solaire alpin, alors pourquoi ne pas installer des panneaux le long des pistes de ski? Ou sur les barrages, comme cela a déjà été fait? Les avantages: l’impact sur le paysage est déjà là et les connexions au réseau existent", argumente le conseiller national.

La Suisse en retard

Du côté de Swissolar, on est plutôt pragmatique, tout en se disant à l’écoute des critiques. "Certains projets ont plus de sens que d’autres, notamment ceux qui nécessitent moins d’infrastructures annexes ou qui sont déjà proches d’un réseau électrique", déclare le coordinateur pour la Suisse romande Yannick Sauter. Mais le responsable rappelle le retard pris par la Suisse.

"Si notre pays avait été plus rapide, les toitures auraient suffi. Le problème: chaque installation sur le toit d’une villa implique une procédure différente. Et surtout, il faut beaucoup de toitures pour produire l’équivalent d’un parc solaire alpin. En se limitant aux panneaux sur les toits, nous n’atteindrons pas les objectifs fixés par le parlement de 45 TWh de production d’électricité renouvelable en 2050", développe Yannick Sauter. À titre de comparaison, le potentiel du photovoltaïque alpin est estimé à 47 TWh (consommation du pays en 2022: un peu plus de 62 TWh).

Potentiel d’économies

"Très probablement, les projets nécessitant le moins d’infrastructures secondaires seront réalisés en priorité. Là où il faut tirer de longues lignes de transport d’électricité, la question de la rentabilité risque de limiter leur réalisation", anticipe Yannick Sauter. En outre, le coordinateur souligne que "la loi exclut une partie des zones protégées. Il faut également rappeler que le photovoltaïque n’est pas invasif. Il est tout à fait possible de visser les pieux dans le sol, sans bétonnage."

Ce pragmatisme est partagé par les Vert’libéraux du Valais romand, "dans l’ensemble plutôt favorables aux parcs solaires alpins". Leur coprésident, Philippe Jansen, appelle à considérer les projets "au cas par cas". Et établir des projets pilotes ne doit pas empêcher de travailler sur des économies d’énergie. Sur ce point, il rejoint Christophe Clivaz et Arnaud Zufferey. Ce dernier mentionne une étude de l’OFEN selon laquelle le potentiel d’économie d’électricité en Suisse oscille entre 25 et 40% de la consommation.

"Nous serons à l’écoute des associations de défense de la nature"

Joseph Ramuz, président de la commune valaisanne de Leytron, répond à trois questions sur le projet de parc solaire au-dessus d’Ovronnaz.

Quels sont les avantages du site proposé au-dessus d’Ovronnaz (commune de Leytron) pour un parc solaire alpin?

Tout d’abord l’altitude (2000-2200 mètres) et le bon ensoleillement. Mais notre projet a la particularité d’être envisagé à proximité immédiate des remontées mécaniques, si bien que l’infrastructure électrique (connexion au réseau) et les accès routiers existent déjà. En outre, cela permet une intervention rapide du personnel spécialisé en cas de panne sur les futures installations photovoltaïques.

Qu’espère en retirer la commune?

Pour le moment, nous n’en sommes encore qu’à l’étude et l’analyse du dossier. Notre objectif est d’alimenter en électricité renouvelable les remontées mécaniques, les bains thermaux d’Ovronnaz et les habitants. La capacité du site est estimée à 40 GW, pour une production qui devrait permettre de couvrir la consommation annuelle de 8000 ménages, soit bien plus que les 1600 foyers recensés dans la commune.

Les voix critiques reprochent une atteinte à la nature et un bétonnage de la montagne. Votre réaction?

Nous serons attentifs à l’impact du projet sur l’environnement et c’est d’ailleurs l’un des buts des études en cours. Nous serons à l’écoute des associations de défense de la nature, tout en rappelant que le site projeté se trouve dans une zone déjà bien industrialisée, notamment avec la présence des remontées mécaniques qui fonctionnent toute l’année. Nous n’allons pas mettre en péril notre patrimoine paysager si le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il faut considérer le rendement des parcs solaires alpins, a priori meilleur que celui des panneaux photovoltaïques placés sur des toitures en plaine. Enfin, précisons que la commune ne fait qu’appliquer une décision fédérale de développer l’énergie solaire, en étudiant la faisabilité de ce projet.

Le Quotidien Jurassien

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