A Strasbourg, les librairies indépendantes sont en souffrance

"C'est compliqué": à Strasbourg, des libraires indépendants alertent sur leur situation difficile dans un secteur fragile, alors que la cité alsacienne endosse dans un mois ses habits de "Capitale mondiale du livre", une première pour une ville française.
ILa situation des librairies indépendantes de Strasbourg est difficile (photo symbolique). KEYSTONE
ILa situation des librairies indépendantes de Strasbourg est difficile (photo symbolique). KEYSTONE

ILa situation des librairies indépendantes de Strasbourg est difficile (photo symbolique).

© KEYSTONE

ATS
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"On n'a jamais connu un exercice normal", soupire Eric Schultz, qui a ouvert en septembre 2018, près du quartier étudiant de la Krutenau, "La tâche noire", l'une des rares librairies en France entièrement consacrées au polar.

Gilets jaunes, attentat du marché de Noël, Covid-19, puis la guerre en Ukraine et ses conséquences économiques, entre hausses du coût de l'énergie et du prix du papier... "On s'est retrouvé avec des passifs qui s'accumulaient (loyer, fournisseurs...) alors qu'on était en progression", se souvient cet ancien élu municipal écologiste dans une précédente mandature.

Une opération de financement participatif l'an passé l'a toutefois sauvé du gouffre et a permis d'éponger la majorité de ses dettes. Depuis, "ça va, mais on reste vigilant..."

A une centaine de mètres de là, même son de cloche au "Tigre", spécialisé dans la bande dessinée et la microédition "underground", qui a ouvert au même moment. "On a dû se battre", confie Nicolas Deprez, 47 ans, qui emploie une salariée depuis 2021.

Lui aussi fait le constat d'une guerre en Ukraine qui a encore "compliqué" les choses : "On a continué à avoir du monde", mais "toutes nos charges fixes ont explosé". "On ne lance pas une librairie pour gagner de l'argent", concède-t-il, mais "dans la conjoncture actuelle", ces nouvelles difficultés sont comme "une deuxième claque".

Fermeture

Un contexte qui a par exemple poussé la librairie voisine "Obscurae", spécialisée dans le fantastique, à fermer, après un an d'existence. Près de Strasbourg, à Illkirch-Graffenstaden, "L'Ill aux trésors" a elle aussi baissé le rideau.

Après le Covid, "les clients sont venus en masse dans les librairies" mais cet effet est retombé, constate Anne Martelle, présidente du syndicat de la librairie française, qui regroupe plus de 750 librairies. Et en cette période d'inflation, c'est devenu "très difficile" pour ces établissements qui affichent "une rentabilité moyenne de 1 à 1,5%".

Dans ce contexte, les lecteurs "font des choix, le loisir, ça passe après le reste", abonde Carole Benelhocine, gérante depuis un an de "L'Indépendante" (trois salariées). Désormais, "les poches partent plus vite que les grands formats".

"Toutes les petites librairies ayant ouvert il y a moins de cinq ans sont en difficulté", résume Morgane Albisser, qui tient depuis 2019 avec sa soeur Diane "L'oiseau rare", à la fois librairie, galerie et café. Face aux charges et aux frais de transport qui flambent, "les bénéfices d'une librairie ne peuvent suffire. Nous gagnons autant en vendant un café qu'un livre de poche!"

Héritage de Gutenberg

Des établissements en souffrance alors que s'ouvre le 23 avril "Capitale mondiale du livre", avec 250 manifestations sur une année. Strasbourg, où Johannes Gutenberg a élaboré au 15e siècle le système typographique qui allait donner naissance à l'imprimerie, compte actuellement 25 librairies. Elle est la première ville française à recevoir ce label de l'Unesco, créé en 2001.

Une belle vitrine pour le livre et la lecture que plusieurs indépendants regardent pourtant avec "perplexité", regrettant ne pas y avoir été davantage associés, estime Eric Schultz: "On nous demande d'accueillir des événements et c'est ce qu'on va faire. Mais à part la vente de livres qu'on fera éventuellement, je ne vois rien de concret pour mettre en valeur le secteur".

"Tout une série" d'événements intégrant les libraires sont prévus, comme le "Rallye du livre" prévu en juin dans plusieurs librairies, la hausse de la dotation des écoles pour les achats de bouquins ou encore l'organisation de "résidences d'auteurs" dans des librairies, énumère Anne Mistler, adjointe aux arts et aux cultures.

Le Quotidien Jurassien

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