François Dumont, une remarquable et séduisante démonstration stylistique à Saint-Ursanne

Pour son récital de jeudi à Piano à Saint-Ursanne, le pianiste lyonnais François Dumont a choisi d’illustrer, en saisissant l’occasion des 175 ans de la disparition de Félix Mendelssohn, la manière dont le compositeur hambourgeois a contribué à exhumer l’œuvre de Bach.
Le programme proposé par François Dumont était riche d’intrications.
Le programme proposé par François Dumont était riche d’intrications.

Le programme proposé par François Dumont était riche d’intrications.

Robert Siegenthaler

Maxime Grand
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Le programme proposé par Dumont qui, en bon connaisseur de rhétorique musicale, prend autant soin de plaire que d’enseigner et de convaincre, est riche d’intrications. Son récital s’est achevé sur le Prélude et fugue en la mineur BWV 543, œuvre jouée par Mendelssohn, commentée par Schumann et finalement transcrite par Liszt pour le piano.

En voyage à Montpellier, ce dernier aurait montré à un ami organiste trois manières d’interpréter cette partition magistrale: une version classique, sobre et mesurée, une version plus colorée, mais respectant les subtils principes d’équilibre et de modération, et une troisième exécutée "comme un charlatan" pour éblouir le public.

Dans la vaste constellation d’interprétations possibles, la manière de Dumont rejoint incontestablement la deuxième proposition du renommé concertiste hongrois. Les Romantiques avaient aperçu dans ce vaste opus un potentiel de liberté rhapsodique que Dumont excelle à mettre en relief, imprimant de légères inflexions au tempo pour souligner les séquences, trouvant ce juste équilibre entre la magique progression infinie de l’écriture rigoureuse et la spontanéité de l’instant – à l’instar de la foudroyante cadence finale – rappelant que Bach était lui-même un remarquable improvisateur.

Saisissant contraste stylistique

Soucieux de capter l’attention d’emblée, Dumont débute son récital par un exorde accessible, le Concerto italien en fa majeur, de facture plaisante et ensoleillée, imitée de Vivaldi, avant de poursuivre par la plus exigeante et très élégante Suite anglaise n° 3. Il a fallu quelques instants pour réaliser que l’ingénieux interprète jouait ces deux œuvres de Bach en imitant sur le piano la sobriété phonique du clavecin, alors que, plus tard, dans le prélude et fugue, le Steinway sonnera avec la monumentalité d’un orgue cathédral.

La suite anglaise n’est pas dépourvue d’une poésie raffinée: dans la Sarabande en particulier, Dumont déploie un trésor d’affects, d’une musicalité intense, y articulant comme des soieries les agréments généreux de la reprise, obtenant un savoureux legato dans la transitionnelle Gavotte II – Musette, ou conduisant de manière plus libre les périodes de la Gigue.

Il a fallu quelques instants pour réaliser que l’ingénieux interprète jouait ces deux œuvres de Bach en imitant sur le piano la sobriété phonique du clavecin […]

La dette de l’académique Mendelssohn envers Bach pourrait passer a priori inaperçue, tant est saisissant le contraste stylistique entre l’aristocratique architecture du maître baroque et la sentimentale intimité des Romances sans paroles.

Dans ces dernières, Dumont se distingue par un travail très abouti sur les textures, faisant scintiller, dans la 1re romance, la mélodie au gré d’un rubato qui respire selon l’itinéraire harmonique de l’accompagnement aqueux, exprimant avec sincérité la confidentielle intimité de la folklorique 3e romance et orchestrant, en adroit réalisateur de film, la scène de chasse avec ses sonneries de cor qui ricochent en écho dans le paysage aux vaux encaissés du molto allegro e vivace.

Avec un respect interactif et non rigide

Les Variations sérieuses – composées par Mendelssohn pour financer une statue en hommage à Beethoven – révèlent plus explicitement leur riche affiliation avec l’œuvre du Cantor de Leipzig.

La noblesse et la simplicité du thème initial sont celles d’un choral de Bach, tout comme son inspiration se lit dans le contrepoint précis de la 13e variation, la cadence de l’avant-dernière et la systématicité formelle de ce remarquable édifice musical.

Clavier bien tempéré et Impromptu

C’est avec un respect interactif et non rigide que Dumont en déroule la structure fascinante, déclinant de manière convaincante le thème sous de multiples apprêts stylistiques – le con fuoco orné de corolles florales parfumées, le cantabile évoquant la douce majesté d’un ciel étoilé, l’adagio aux surprises harmoniques beethovéniennes, le cataclysmique allegro vivace, et jusqu’à l’apothéose lisztienne du presto.

Aux auditeurs nombreux et enchantés, sur rappel, François Dumont offrira avec cohérence les deux premiers préludes du Clavier bien tempéré de Bach ainsi qu’un Impromptu de Schubert, en écho aux romances de Mendelssohn.

Le Quotidien Jurassien

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