Le Roman des Romands s’invite au Théâtre du Jura
L’intérêt de l’exercice est de révéler les dessous de la machinerie de l’écriture, et comme les auteurs sont côte à côte, de comparer les méthodes. D’origine roumaine, Eugène a écrit Lettre à mon dictateur, sa jeunesse sous le joug de Ceausescu. "Je savais où j’allais, car c’est une autobiographie tissée sur mes souvenirs d’enfance, écrite la nuit car je ne voulais pas donner mes jours à cette ordure de Ceausescu. J’ai présenté ce livre devant des classes, des jeunes de votre âge, qui ignoraient tout de cette dictature. Ceausescu, je t’ai offert un supplément de vie", dit-il comme à regret.
À ses côtés, Mélanie Richoz, auteure de Mouches, récit sur la maladie d’Alzheimer mâtiné de déni de grossesse, a une approche toute différente. "J’ai commencé à écrire après avoir fait du théâtre d’impro. Et ça transparaît: c’est le personnage qui décide où il va selon ce qui lui arrive", explique l’ergothérapeute de profession.
Aspirateur à inspiration
D’où l’inspiration vous vient-elle? demande une élève. "Une idée va surgir soudain, en descendant l’escalier, en écoutant de la musique, et va être métabolisée. Il faut être un aspirateur, puis faire des choix", résume Anne-Sophie Subilia, autrice de L’Épouse, histoire qui prend place dans la Bande de Gaza – mais il y a un demi-siècle.
"L’écriture est un acte extrêmement solitaire, quand bien même on a l’esprit peuplé d’une foule de personnages."
Ce qui a inspiré Noël Nétonon Ndjékéry pour Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis, c’est ce souvenir: "Dans la brousse, quand j’étais petit, nos parents nous mettaient en garde contre les bêtes sauvages et les cavaliers, qui prenaient les enfants en esclavage. À l’école, nous apprenions le commerce triangulaire transatlantique, mais pas la traite transsaharienne, parce que ça n’était pas au programme. J’ai donc voulu en parler dans un livre."
"L’écriture est un acte extrêmement solitaire, quand bien même on a l’esprit peuplé d’une foule de personnages", confie pour sa part Fanny Desarzens, qui dans Galel livre une histoire de montagne et de montagnards.
Le refuge sûr des livres
Quant à Marie-Jeanne Urech, c’est une fable utopique qu’elle signe dans K comme almanach. "Je suis fascinée par le thème de l’effondrement, la collapsologie. Pour m’en extraire, je me crée un autre monde dans lequel je suis bien. Bien protégée dans mes livres."
Forts de ces coups d’œil indiscrets dans la psyché des écrivains, les 82 critiques en herbe auront la délicate tâche de désigner leur lauréat, le mardi 9 janvier en Valais. La cérémonie de proclamation aura lieu le vendredi 19 janvier à Lausanne.
Eugène, éditions Slatkine, 2022.
"Un jour, ma mère m’a appris que j’avais une dette envers quelqu’un. Un type que ni elle ni moi n’aimions. Je ne savais pas quoi faire de cet aveu. Alors je l’ai enfoui dans ma "chambre des vérités embarrassantes". À cinquante ans, j’ai décidé d’écrire une lettre à cet odieux personnage. Pour mieux comprendre et peut-être me libérer de cette dette. Je croyais en avoir pour quelques soirs, mais ça m’a pris des mois. Car ce n’est pas tous les jours qu’on écrit à… Nicolae Ceausescu, tyran de la Roumanie pendant vingt-deux ans." Dans ce livre, Eugène raconte avec sincérité et humour son parcours de migrant, puis d’écrivain.
Fanny Desarzens, éditions Slatkine, 2022.
Paul, Jonas et Galel aiment la montagne. L’hiver, chacun mène sa vie en plaine; l’été, Jonas et Galel exercent comme guides. Ils se retrouvent une fois par an à la Baïta, le refuge tenu par Paul. Un endroit de passage où ils vivent des moments aussi attendus que précieux. Dans un monde de rocaille et de silence, Galel déploie le talent brut de son auteure, étoile montante de la littérature romande.
Née en 1993, Fanny Desarzens est diplômée en arts visuels de la HEAD Genève. En 2020, sa nouvelle Lignine est lauréate du concours littéraire organisé à l’occasion des 60 ans de la revue Choisir.
Nétonon Noël Ndjékéry, éditions Hélice Hélas, 2022.
Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis est une plongée dans les horreurs de la traite négrière transsaharienne. Des caravanes en partance pour la péninsule arabique, en passant par la colonisation française, l’enrôlement des tirailleurs africains pendant la Première et la Deuxième guerre mondiale, jusqu’à l’essor du mouvement djihadiste Boko Haram, Nétonon Noël Ndjékéry met en récit deux cents ans d’histoire de la privation de liberté et de l’exploitation humaine dans la région de l’actuel Tchad, pays où il est né en 1956. Il habite sur les rives du Léman, en Suisse.
Mélanie Richoz, éditions Slatkine, 2022.
"Dans les moments creux, on dépose une poupée dans les bras de Mme Dumas. Une poupée aux yeux bleus avec de longs cils noirs. Ses paupières se ferment lorsqu’on l’allonge sur le dos. À mesure de la bercer et d’embrasser son crâne en plastique, elle se tranquillise. On dirait que sa seule présence l’aide à recouvrer une sorte de paix."
Depuis 2010, Mélanie Richoz a publié une douzaine de livres dont Le Bain et la douche froide (2014), J’ai tué papa (2016), Apollo (illustrations de Kotimi, 2020) et Ma Même-Pas-Belle-Mère (illustrations d’Émilien Davaud, Fleurs Bleues, 2021).
Anne-Sophie Subilia, éditions Zoé, 2022.
Janvier 1974, Gaza. L’Anglaise Piper emménage avec son mari, délégué humanitaire. Leurs semaines sont rythmées par les vendredis soir au Beach Club, les bains de mer, les rencontres fortuites avec la petite Naïma. Piper doit se familiariser avec les regards posés sur elle, les présences militaires, avec la moiteur et le sable qui s’insinue partout, avec l’oisiveté. Le mari s’absente souvent. Guettée par la mélancolie, elle s’efforce de trouver sa place. Le baromètre du couple oscille.
Née à Lausanne en 1982, Anne-Sophie Subilia a étudié la littérature française et l’histoire à Genève.
Marie-Jeanne Urech, éditions Hélice Hélas, 2022.
Chaque soir, Simon allume à l’aide de sa perche les lampadaires de la ville. Alors que la population se déporte en masse vers l’idéalisée Belgador pour ne jamais en revenir, lui s’évertue à contenir l’inévitable progression de l’obscurité. Autour de lui, les immeubles se fissurent, la ville est rongée par une végétation suffocante, les denrées viennent à manquer et les perspectives d’avenir s’amenuisent.
Poétesse depuis toujours, Marie-Jeanne Urech, née à Lausanne en 1976, a commencé par une carrière dans le cinéma, après un diplôme de réalisatrice à la London Film School.