Les auberges forment la jeunesse depuis un siècle

En 1924, la coopérative des auberges de jeunesse était créée en Suisse. Cent ans plus tard, les relais préférés des randonneurs et étudiants ont entamé une profonde mue, pour répondre à une clientèle plus familiale et exigeante.
Au début du XXe siècle, les auberges de jeunesse sont nées pour répondre à la demande de plus en plus de jeunes qui ont commencé à randonner et à voyager pendant leur temps libre.
Au début du XXe siècle, les auberges de jeunesse sont nées pour répondre à la demande de plus en plus de jeunes qui ont commencé à randonner et à voyager pendant leur temps libre.

Au début du XXe siècle, les auberges de jeunesse sont nées pour répondre à la demande de plus en plus de jeunes qui ont commencé à randonner et à voyager pendant leur temps libre.

© KEYSTONE

Nina Schretr, Le Temps
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C’est une jeunesse devenue centenaire. Le 28 avril 2024, les auberges de jeunesse suisses ont fêté leur siècle d’existence. Et de succès: aujourd’hui, une cinquantaine d’auberges, dont sept franchisées, ponctuent le bord des lacs, les montagnes, la campagne et les villes du pays. L’an dernier, près de 800 000 nuitées ont été réservées dans ces établissements – les trois quarts par une clientèle suisse.

Les auberges de jeunesse, c’est le goût des premières vacances sans les parents. Pour Lucie, c’était à l’âge de 17 ans, au Canada. Aujourd’hui la trentaine, la Française a conservé l’attrait pour les auberges de jeunesse, notamment en Suisse, où elle vit désormais. Elle s’y rend encore au moins trois fois par an. "Facile, ajoute-t-elle. C’est quasiment à chaque fois que je pars en vacances. L’auberge a une réputation d’être un truc pour dépanner, mais il y a de très bons services, avec des sanitaires nickel, avec des réductions pour les transports et les musées. Quand je voyage seule, je varie entre l’auberge et l’hôtel." La première offre les rencontres au bar et les jeux de société dans la salle collective, pour un budget minimal – le prix d’appel moyen est de 42 francs par personne et par nuit dans un dortoir de quatre à huit lits. Le second est réservé aux "endroits paradisiaques, pour avoir la totale."

L’influence des néoromantiques allemands

Aujourd’hui, les auberges de jeunesse ne représentent que 4% des nuitées de la parahôtellerie – qui réunit entre autres les campings et les hébergements collectifs, comme les cabanes de montagne, ou les bed and breakfast – mais "elles jouent un rôle social indéniable", juge Rafael Matos-Wasem, enseignant à la Haute École de gestion de la HES-SO Valais. Qui explique: "Il s’agit d’une offre de qualité pour pas cher, qui s’adresse aux jeunes, aux scolaires et aux familles. À partir de 1993, les auberges ont davantage misé sur le développement durable, l’égalité salariale, les salaires corrects, l’accès aux personnes à mobilité réduite. Elles promeuvent un aspect collectif – de moins en moins il est vrai, mais il y a encore de beaux restes."

Cuisines communautaires

C’est en 1924 que se crée la coopérative zurichoise pour les auberges de jeunesse. Ses fondateurs sont en partie issus du mouvement Wandervogel, ces jeunes oiseaux migrateurs allemands épris de néoromantisme et en quête d’un mode de vie simple. "Au début du XXe siècle, de plus en plus de jeunes ont commencé à randonner et à voyager pendant leur temps libre, explique au Temps l’association à but non lucratif des Auberges de jeunesse suisses. Pour cela, les jeunes avaient besoin d’hébergements à prix abordable." Les douze auberges et quatre refuges proposés il y a un siècle sont pour le moins simples, sinon spartiates: "Les voyageurs dormaient dans la paille et préparaient leurs repas ensemble dans les cuisines communautaires." Si un meilleur confort est bienvenu, les établissements ont sensiblement changé, avec l’arrivée d’une nouvelle clientèle, des chambres privées, et même des spas.

En effet, après la suppression de la limite d’âge de 25 ans en 1956, les voyageurs seuls ont peu à peu fait place aux groupes d’amis, aux scolaires et surtout, aux familles. Minoritaires en 1992, elles sont devenues deux décennies plus tard la deuxième clientèle la plus importante, derrière les voyageurs seuls (43% en 2022 contre 57% en 1992) et devant les écoles (19%) et les groupes (17%). Des chambres adaptées aux groupes et aux familles sont ainsi proposées, tandis que les dortoirs se sont rétrécis, passant de 20 lits à 6 lits maximum.

Établissements montés en gamme

Surtout, "on voit que les nouvelles auberges et les établissements rénovés sont montés en gamme", note Lucie. C’est notamment le cas de Saas-Fee ou de Laax, réalisés en collaboration avec le secteur public et des partenariats régionaux, qui proposent piscine, espaces wellness et centres de fitness… On est loin de l’image d’Épinal du voyageur en sac à dos, dormant quelques heures dans un dortoir bruyant d’une dizaine de lits, après avoir partagé un repas – et quelques verres – attablé avec des compagnons inconnus dans la salle collective. Quant à l’évolution de l’âge de la clientèle, impossible d’en discuter, les auberges ne tenant pas de statistiques sur cette donnée.

"Les clients ont développé des attentes plus élevées pour leur séjour, justifient les Auberges de jeunesse suisses. Par exemple, les exigences en matière de qualité et de design ont augmenté." Cette tendance concerne l’ensemble de l’hôtellerie et de la parahôtellerie, selon Rafael Matos-Wasem, chercheur spécialiste du tourisme. "C’est aussi le cas pour les refuges de montagne, et les clubs alpins réfléchissent d’ailleurs à la voie à suivre. Les clients sont plus exigeants qu’avant, et surtout les jeunes. Les milléniaux sont très sensibles à la présence d’une connexion internet, mais aussi à la qualité du design, à la sobriété… On voit par exemple l’émergence en 2010 du poshtel, soit l’auberge de jeunesse en style chic." Plusieurs auberges offrent ainsi une véritable expérience patrimoniale, comme à l’ancien sanatorium de Crans-Montana, le château de Berthoud, ou le grand hôtel historique de Saint-Luc.

"Il y a eu des transformations mais ces établissements gardent quelque chose de distinctif"

Cette montée en gamme passe aussi par des éléments moins tape-à-l’œil. Historiquement, le prix de la nuitée comprend un petit-déjeuner copieux mais aussi un forfait pour les transports publics et des réductions pour certains établissements. Aujourd’hui, "avoir dans un dortoir de la lumière et une prise à chaque lit, un rideau… c’est quasi obligatoire pour moi", souligne Lucie.

Une autre adepte des auberges, Mathilde, a aussi apprécié les petites attentions lors de son séjour à Lucerne il y a quelques semaines: sèche-cheveux, boules Quies, couvertures supplémentaires, frigo avec boissons… "28 francs pour un tel standing et ces services, avec une vue spectaculaire dehors, c’est vraiment bien." La Suissesse, backpacker depuis une dizaine d’années, souligne d’ailleurs la différence entre les établissements helvétiques et ceux de l’étranger, en termes de services et de propreté.

"Loin de l’esprit baba cool"

Sans surprise, ces nouveaux services se répercutent sur les tarifs, déjà élevés en Suisse. Ils restent plus attractifs à la nuitée que les logements privés et les hôtels, mais à 228 francs la nuitée à Saanen pour deux adultes et deux enfants, "on est assez loin de l’esprit baba cool", grince Sophie. Peu adepte des auberges, elle a effectué une réservation en famille pour se rendre cet été à un mariage. Heureusement, elle s’y est déjà prise en avance: "Les auberges de jeunesse ont adopté ce qu’on appelle la tarification dynamique. Comme pour EasyJet ou les hôtels en général, les prix varient d’un jour à l’autre", explique Matos-Wasem Rafael. Le chercheur ajoute que cette montée en gamme a accompagné l’avènement des vols low cost, dont les prix bas offrent davantage de souplesse financière au niveau du logement. Les valises cabines côtoient désormais les sacs à dos.

Finalement, ces évolutions n’ont-elles pas dénaturé l’esprit originel des fondateurs et clients de ces établissements? De l’avis de Rafael Matos-Wasem, "il y a eu des transformations mais ces établissements gardent quelque chose de distinctif, en Suisse et à l’international. Ils conservent leur importance car ils drainent une clientèle jeune, qui va devenir les touristes d’affaires et de famille de demain."

L’association qui coordonne les établissements assure de son côté être restée fidèle à ses valeurs et sa mission sociétale. Elle tient d’ailleurs à souligner que les trois quarts de son offre se composent de chambres à plusieurs lits. "Pour maintenir notre viabilité économique malgré des prix bas, nous dépendons du volume de groupes et d’écoles."

Adolescente, Lucie s’imaginait, adulte, séjourner à l’hôtel pendant ses vacances. Quinze ans plus tard, elle écluse encore les dortoirs. Et n’est vraisemblablement pas la seule. "J’ai le sentiment que le public a vieilli. J’ai fait beaucoup d’auberges durant ma vingtaine et j’avais l’impression que les gens qui buvaient au bar avaient le même âge que moi… Et j’ai la même perception aujourd’hui. Ou peut-être qu’avant, je ne remarquais pas les plus âgés."

Le Quotidien Jurassien

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