Les auberges forment la jeunesse depuis un siècle
"Il y a eu des transformations mais ces établissements gardent quelque chose de distinctif"
Cette montée en gamme passe aussi par des éléments moins tape-à-l’œil. Historiquement, le prix de la nuitée comprend un petit-déjeuner copieux mais aussi un forfait pour les transports publics et des réductions pour certains établissements. Aujourd’hui, "avoir dans un dortoir de la lumière et une prise à chaque lit, un rideau… c’est quasi obligatoire pour moi", souligne Lucie.
Une autre adepte des auberges, Mathilde, a aussi apprécié les petites attentions lors de son séjour à Lucerne il y a quelques semaines: sèche-cheveux, boules Quies, couvertures supplémentaires, frigo avec boissons… "28 francs pour un tel standing et ces services, avec une vue spectaculaire dehors, c’est vraiment bien." La Suissesse, backpacker depuis une dizaine d’années, souligne d’ailleurs la différence entre les établissements helvétiques et ceux de l’étranger, en termes de services et de propreté.
"Loin de l’esprit baba cool"
Sans surprise, ces nouveaux services se répercutent sur les tarifs, déjà élevés en Suisse. Ils restent plus attractifs à la nuitée que les logements privés et les hôtels, mais à 228 francs la nuitée à Saanen pour deux adultes et deux enfants, "on est assez loin de l’esprit baba cool", grince Sophie. Peu adepte des auberges, elle a effectué une réservation en famille pour se rendre cet été à un mariage. Heureusement, elle s’y est déjà prise en avance: "Les auberges de jeunesse ont adopté ce qu’on appelle la tarification dynamique. Comme pour EasyJet ou les hôtels en général, les prix varient d’un jour à l’autre", explique Matos-Wasem Rafael. Le chercheur ajoute que cette montée en gamme a accompagné l’avènement des vols low cost, dont les prix bas offrent davantage de souplesse financière au niveau du logement. Les valises cabines côtoient désormais les sacs à dos.
Finalement, ces évolutions n’ont-elles pas dénaturé l’esprit originel des fondateurs et clients de ces établissements? De l’avis de Rafael Matos-Wasem, "il y a eu des transformations mais ces établissements gardent quelque chose de distinctif, en Suisse et à l’international. Ils conservent leur importance car ils drainent une clientèle jeune, qui va devenir les touristes d’affaires et de famille de demain."
L’association qui coordonne les établissements assure de son côté être restée fidèle à ses valeurs et sa mission sociétale. Elle tient d’ailleurs à souligner que les trois quarts de son offre se composent de chambres à plusieurs lits. "Pour maintenir notre viabilité économique malgré des prix bas, nous dépendons du volume de groupes et d’écoles."
Adolescente, Lucie s’imaginait, adulte, séjourner à l’hôtel pendant ses vacances. Quinze ans plus tard, elle écluse encore les dortoirs. Et n’est vraisemblablement pas la seule. "J’ai le sentiment que le public a vieilli. J’ai fait beaucoup d’auberges durant ma vingtaine et j’avais l’impression que les gens qui buvaient au bar avaient le même âge que moi… Et j’ai la même perception aujourd’hui. Ou peut-être qu’avant, je ne remarquais pas les plus âgés."