Peter Winkler.

Peter Winkler, l’aventurier thurgovien qui a finalement posé sa plume à Porrentruy

Julie Seuret

Il rêvait de voir le monde, le petit Peter, depuis son canton de Thurgovie. Il l’a arpenté, découvert, analysé et raconté. Il raconte le parcours d’un reporter curieux et aventurier, qui a finalement posé sa plume à Porrentruy.

"Porrentruy, c’est pas Washington D.C. Il m’arrive d’oublier que je dois faire mes courses avant 17 h le samedi!" De son balcon, il voit désormais les vieilles bâtisses bruntrutaines plutôt que l’Atlantique; depuis deux ans et demi, Peter Winkler est de retour en Suisse.

Il est revenu sur ses pas ce Zurichois qui, tout jeune, rêvait d’Amérique et qui, après de multiples détours, y a débarqué: "Ce n’était pas un chemin court et direct mais c’était peut-être même mieux; ça en valait la peine."

Dépouillement maximal

Jugez plutôt de la complexité de sa route qui l’a emmené au Moyen-Orient, en Afrique, en Russie puis en Europe. Il couvrait l’actualité, la contait, l’analysait, en tant que correspondant pour la Neue Zürcher Zeitung. C’était riche, dépaysant, passionnant; il synthétise ses aventures et réveille la reporter que, bébé journaliste, je fantasmais moi aussi de devenir.

Il me raconte les voyages, le dépouillement au maximum pour réaliser son travail de journaliste: juste de quoi noter et sa soif de découverte. Une liberté rédactionnelle et une confiance totale de son employeur parachèvent ce tableau de rêve. Enfin. C’est à relativiser tout de même, il me le rappelle: l’actualité, et de surcroît à l’étranger, c’est bien loin d’être toujours gai…

"Ne rien prendre pour acquis; on ne sait jamais ce que le sort nous réserve."

C’est minot que Peter réalise qu’il ne restera pas en Suisse. En hiver, quand il ne voit plus les rives de son lac, il s’imagine être face à la mer et dérive, dérive… Jusqu’aux États-Unis. La destination finale, là où il se projetait depuis des années, là où il se sentait bien. Il y vit dix ans, puis à l’approche de la retraite, les impôts américains compliquent la donne: "J’ai alors cherché un lieu où mon fils cadet pourrait étudier et passer son IB, International Baccalauréat, en anglais, et nous avons trouvé ici, à Saint-Charles."

Journaliste et écrivain

Il met désormais son temps bénévolement à disposition pour des cours de langue, et vient de sortir un bouquin sur les prochaines élections aux États-Unis, en novembre.

C’est une autre histoire, la grande, celle de cette immense puissance, mais qui est intimement liée à la vôtre, de "Mon histoire", celle d’un reporter curieux du monde et des hommes: "Je n’ai jamais osé rêver d’une telle vie et je dis ça avec beaucoup d’humilité parce que je sais que ça aurait pu tourner autrement."

Peter Winkler.

Peter Winkler.

© BIST/Danièle Ludwig

Son enfance

Je suis né en 1956 à Uster, dans le canton de Zurich. Mon père travaillait dans l’industrie textile; il a cherché un poste ailleurs et toute notre famille – j’ai deux sœurs plus âgées – a déménagé.

C’est en Thurgovie, à Horn, que j’ai réellement mes souvenirs d’enfant; avant c’était plutôt des rêves, des images et des sons. Garçon j’adorais jouer, je pense que j’ai joué dans le sable jusqu’à 13-14 ans.

Cassé par un inspecteur scolaire

Je dirais que j’étais un peu plus lent que les autres dans mon développement, mais à l’école ça se passait bien, sans trop d’efforts. Mon père avait des ambitions pour moi. Il voulait compenser ce qu’il n’a pas pu faire jeune, réaliser son rêve, et me voyait avocat – mais je ne suis pas devenu avocat!

Après le lycée à Romanshorn et après une année sabbatique, j’ai décidé que je ferais prof d’anglais et je me suis inscrit à l’Université de Zurich en langue et littérature anglaises. Je n’ai pas tenu très longtemps.

Thurgovie manquait de professeurs et avec une maturité, on avait la possibilité de faire des remplacements, ce que j’ai fait; un inspecteur a alors jugé qu’il y avait trop de joie dans ma classe. Ça m’a tout à fait démotivé.

Savoir que sa vie est ailleurs

Mon enfance à Horn, c’était surtout le lac, on y passait l’été et on y allait parfois l’hiver, c’était très beau. Quand on n’apercevait pas la côte allemande, on pouvait imaginer que c’était la mer. Et regardant à travers le lac, l’autre côté m’attirait et je crois que c’est à ce moment-là que j’ai su que je ne resterais pas en Suisse toute ma vie.

En mission avec le CICR

J’ai d’abord terminé mes études pour être correct avec mes parents, puis je dirais que j’ai pêché des opportunités. D’abord un stage au Landbote, journal local de Winterthour. Là j’ai eu la chance de faire un bon article repris par l’ATS, qui m’a offert un stage de deux ans à la rédaction étrangère.

J’ai fait dans ce cadre quelques voyages et j’ai su que ce serait ma vie. J’ai ensuite travaillé un peu plus de trois ans à la radio, mais je voulais faire quelque chose qui aurait des conséquences tangibles, je voulais être utile. Je me suis alors proposé au CICR, qui m’a pris et envoyé au Liban pour une première mission.

Tâter le terrain

C’était super le Liban; par notre présence sous les couleurs du CICR, on cherche à empêcher des atrocités de guerre, et à rassurer les civils. Super jusqu’à ce que je sois enlevé.

Pendant un mois j’étais attaché par le poignet, dans une toilette. J’ai été relâché dans des circonstances qui me paraissent nébuleuses. Mon retour en Suisse était inconfortable, j’étais célèbre sans rien avoir fait.

Gérer le trauma

Alors je suis reparti, dans le Sud Soudan, pendant un an, puis six mois au Sri Lanka. C’était mon moyen de gérer le trauma, j’ai fait, par instinct, ce qu’il fallait.

J’ai voulu encore repartir mais j’avais été en contact avec la tuberculose alors j’ai dû rester un moment en Suisse. C’est là que j’ai commencé à travailler pour la télé, l’émission Zehn vor Zehn, jusqu’à ce que la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) m’appelle, en 1991, pour leur service étranger. Ils s’attendaient à ce que j’aille à l’étranger bien sûr et c’est la raison pour laquelle j’ai accepté (aussi la télé, il faut quelqu’un pour l’image, quelqu’un pour le son… Mon idéal c’est mon bloc-notes, mon stylo et moi!)

Raconter l’étranger

Au printemps 1995, je deviens le correspondant pour l’Afrique de la NZZ. Je suis basé à Nairobi, je couvre le continent à l’exception de l’Afrique du Sud et du Maghreb. J’ai voyagé dans 33 des 36 pays qui me concernaient.

Conditions de travail extraordinaires; à cette époque, le journal gagne plus qu’il ne peut dépenser. Je suis libre d’aller, de voir, de découvrir pour écrire. C’était ma passion. Mais après six ans, ma 3e famine en Éthiopie, et ma 3e guerre civile au Congo, j’étais fatigué et je sentais que ça devenait une "habitude".

De l’Afrique à la Russie

J’étais prêt pour un changement: on m’a envoyé à Moscou. Il a fallu acheter beaucoup d’habits! À l’époque ça bougeait beaucoup en Russie, c’était fascinant. Après trois ans et demi, je change pour Bruxelles, les affaires européennes, beaucoup de politique politicienne, de conférences.

Cinq ans plus tard, je deviens correspondant américain, à Washington. Mon mariage n’a pas survécu à tous ces changements et en 2014 je me suis retrouvé seul avec mes deux fils à jongler avec leur éducation et mon travail, qui consistait davantage en analyses qu’en voyages.

Peter Winkler avec ses deux sœurs Sylvia et Ursula, et leur grand-mère préférée.
Peter Winkler a toujours eu des affinités avec la France. En 1992, il a pu s’acheter une petite maison dans le sud, à Bouzigues.
Peter Winkler dans les Ardennes, avec ses fils et leur demi-sœur Nadia, à Noël, en 2022.
Cinq années repères

1988, enlèvement au Liban. Ça m’a surtout permis de comprendre que ça ne sert à rien de trop planifier…

1991, quand j’ai commencé à travailler pour la Neue Zürcher Zeitung. J’ai hésité beaucoup, je me trouvais un peu jeune pour une telle décision, parce que je savais que je ne lâcherais pasce poste. J’y suis resté 30 ans.

2001, la naissance, à Nairobi, de mon aîné Patrice. Être père a changé toutes les donnes; travail, responsabilités et plaisir énorme. Illya, lui, est né à Bruxelles.

2011, finalement, partir aux États-Unis, mon rêve depuis mon passage à l’ATS en 1983-1985.

2020, mars. Le "lockdown" était très sévère dans le Maryland. Il devenait important de trouver de quoi s’occuper à la maison. Patrice a préparé Illya pour ses examens à Saint-Charles.

Regard sur l’actualité

Israël-Palestine

J’ai beaucoup voyagé dans cette région et m’y suis vraiment intéressé. Il y a vingt ans j’ai réalisé que c’est sans espoir.

Pour moi il est clair que la solution à deux États est une chimère. Israël n’a aucun intérêt à un État palestinien et la Palestine n’est pas consciente de ce qu’implique d’être un état à part entière.

Quant à Bruxelles on parlait de "processus de paix au Moyen-Orient…" Je n’ai jamais vu ni perspective de paix ni même un quelconque processus.

Féminisme

Ma socialisation, dans les années 1970-1980, s’est faite par des femmes qui m’ont expliqué ce qu’est le féminisme, et qu’il était aussi dans mon intérêt. Le féminisme a permis d’acquérir beaucoup et est important pour tout le monde.

Élections américaines en novembre

Un peu tragique; probablement qu’il faudra choisir entre deux candidats que personne ne voulait. Si Trump est à nouveau président, ça deviendra compliqué. Ce sera peut-être une alarme nécessaire pour que l’Europe, y compris la Suisse, comprennent qu’elles doivent être capables de se défendre et de s’organiser sans les États-Unis.

Urgence climatique

Les gens s’en fichent. Ils disent que c’est super important, mais concrètement, ne sont pas prêts à changer leurs habitudes.

Le Quotidien Jurassien

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