"Coup porté à la souveraineté (de la Suisse) et à sa démocratie", "Régime climatique judiciaire", "Coup d’État de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)", "Débat démocratique écarté", "Ingérence de juges étrangers dans les affaires suisses": l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la plus importante institution du Conseil de l’Europe à Strasbourg avec ses 46 États membres, en faveur des 2000 "seniors du climat" de Suisse, a provoqué l’indignation de nombreux politiciens et publicistes nationaux-conservateurs et libéraux de droite en Suisse, spécialement en Suisse alémanique. Ces réactions en disent peu sur la qualité et le bien-fondé des critiques de la CEDH à l’égard de la politique climatique inadéquate de la Suisse, et beaucoup sur le manque de compréhension de la diversité de la démocratie en général et de la protection européenne des droits fondamentaux individuels en particulier.

Le week-end dernier, le juge suisse à la CEDH, l’Argovien Andreas Zünd, a rappelé, dans le quotidien Blick, le devoir de tout État démocratique: "L’État a l’obligation de protéger la vie et la santé de ses citoyens." C’est le cas en Suisse depuis 175 ans. Depuis 150 ans, la Suisse et sa Constitution fédérale de 1874 disposent d’un autre droit démocratique fondamental, le droit de recours constitutionnel en matière civile, la plus ancienne forme de juridiction constitutionnelle en Europe. Cela signifie que chaque citoyen peut demander un contrôle judiciaire visant à déterminer si l’État respecte ses obligations ou s’il agit conformément à ses devoirs. Les 2000 "Aînées pour la protection du climat" ont fait usage de ce droit de recours constitutionnel. D’abord au sein de l’administration fédérale, puis au Tribunal administratif fédéral, puis au Tribunal fédéral et enfin à Strasbourg, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme. Cela s’est déroulé devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui avait été créée en 1959 en tirant la leçon de l’expérience, à savoir que les États démocratiques européens n’avaient plus pu protéger les droits fondamentaux de leurs citoyens avant et pendant la guerre. Avec l’adhésion de la Suisse à la Convention européenne des droits de l’homme en 1974, l’Assemblée fédérale a permis aux citoyens suisses d’obtenir ce résultat qui élargit le droit de plainte constitutionnel.

D’un point de vue factuel, la décision de Strasbourg ne constitue pas une violation du droit de la Suisse à disposer d’elle-même et n’annule pas non plus les décisions démocratiques prises par le peuple suisse. Bien au contraire. L’année dernière, par exemple, les électeurs suisses sont devenus le premier pays au monde à inscrire dans la Constitution fédérale l’objectif de zéro émission de CO2 d’ici 2050, conformément à l’Accord de Paris sur le climat. L’arrêt de la CEDH s’inscrit dans la droite ligne de ce référendum démocratique. Sa seule critique est que la Suisse ne s’approche pas encore suffisamment de cet objectif. À tel point que le droit fondamental de nombreuses femmes suisses âgées à une vie intacte et saine est compromis. La CEDH rappelle ainsi à la Suisse ses décisions démocratiques et, comme tous les autres pays européens, ne fait que l’encourager à permettre de mieux vivre sur la base des décisions prises. La CEDH laisse également à la Suisse le soin de décider de ce qu’elle entend faire, et ne cède pas à la tentation de s’immiscer dans ce processus décisionnel démocratique.